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Entretien echo, janvier 2019

Ne pas adopter une attitude défensive vis-à-vis de la réforme de la prévoyance vieillesse

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Entretien avec Daniel Leupi

Entretien avec Daniel Leupi, membre du conseil de Ville de Zurich, directeur des finances et président du conseil de fondation de la caisse de pension de la Ville de Zurich

elipsLife echo: Le Conseil fédéral a adopté fin août 2019 un projet de réforme de l’AVS. La gauche est opposée au recul de l’âge de la retraite pour les femmes, la droite déplore l’absence de solutions aux problèmes structurels de l’AVS. Que pensez-vous de cette proposition? 
Daniel Leupi: De façon très générale, je considère que la sauvegarde de la prévoyance vieillesse comptera parmi les principaux défis politiques à relever ces prochaines années, au même titre que le changement climatique, la réglementation de nos rapports avec l’Europe ou la garantie d’une société ouverte et sociale. Je ne me suis pas encore penché sur les détails de cette proposition. Une augmentation de l’âge de la retraite me semble inévitable. Le relèvement du taux de cotisation de l’AVS doit être limité. L’allongement de la durée de la vie et l’impact négatif de la faiblesse des taux d’intérêt sur les revenus ne nous laissent actuellement pas d’autre choix. Il faut néanmoins que la hausse de l’âge de la retraite s’assortisse d’une compensation sociale. Lorsque pendant plus de 30 ans, on se prépare à un départ à la retraite précis et que des changements surviennent, un temps d’adaptation est forcément nécessaire. Il faut permettre à ceux qui en ont encore la possibilité de se préparer au relèvement de l’âge de la retraite. Et prévoir une compensation pour ceux qui sont sur le point de prendre leur retraite et ne peuvent donc plus réagir. Dans un pays riche comme la Suisse, le report de l’âge de la retraite ne doit pas créer de difficultés sociales. 

Vous êtes donc favorable à une hausse de l’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes?
Oui, même si la question de l’augmentation de l’espérance de vie des hommes doit être abordée. Quoi qu’il en soit, l’instauration d’une égalité sociale et financière entre les femmes et les hommes est pour moi indispensable. Nous devrions également en profiter pour évoquer tous les domaines dans lesquels les femmes restent défavorisées. Dans la Ville de Zurich, nous avons par exemple constaté qu’il n’existait qu’un très léger mais inexplicable écart salarial de 0,6% entre hommes et femmes. Le secteur public est sûrement mieux loti que certaines parties de l’économie privée qui sont mises à rude épreuve.

Quels sont selon vous les points essentiels de la réforme de l’AVS?
La question centrale est de savoir si cette réforme est supportable. C’est la même chose avec la politique budgétaire de Zurich. Il faut maintenir l’équilibre des systèmes à moyen et long terme pour que les citoyens gardent confiance dans les fonctions essentielles de l’État. Cela vaut tout particulièrement pour la prévoyance vieillesse. Il existe en Suisse d’énormes disparités de fortune et de revenus. C’est la raison pour laquelle un équilibre social et une vieillesse sûre sont des revendications importantes.

 

 

 

 

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La Suisse mise jusqu’à présent sur le système des trois piliers. Que pensez-vous de ce système?
Je ne suis pas partisan d’un bouleversement de ce système car il a fait ses preuves. Mais il ne faut pas non plus adopter une attitude défensive lors de la discussion sur la réforme étant donné que notre système de retraite est actuellement mis à rude épreuve: l’espérance de vie s’est allongée, les relations entre les prestataires et les bénéficiaires de prestations se sont énormément dégradées, sans oublier le problème des très faibles rendements. 

À quel âge pourrez-vous prendre votre retraite lorsque ce sera votre tour de le faire?
J’atteindrai dans onze ans l’âge actuel du départ à la retraite. Compte tenu de la vitesse à laquelle évolue notre système politique, je ne pense pas que l’âge de la retraite sera passé à 70 ans d’ici là. Il se pourrait néanmoins qu’il ait été relevé à 67 ans. Quoi qu’il en soit, l’âge de la retraite augmentera tôt ou tard. L’important, c’est d’opérer des distinctions claires: il serait inopportun de mettre sur le même plan des personnes qui travaillent dans des bureaux, des travailleurs de la construction et des personnes qui travaillent en équipe. En cas de relèvement de l’âge de la retraite, des solutions différentes et acceptables sur le plan social devront être trouvées. Cela me semble absolument nécessaire.

Une baisse du niveau des rentes ne s’impose-t-elle pas à long terme?
À quoi cela servirait-il? Les retraités qui vivent à l’étranger continueront de vivre très correctement même en cas de réduction de leur rente. Ceci dit, même dans les pays d’émigration classiques prisés par les retraités, les prix augmentent. Mais dans notre pays, certaines dépenses des ménages augmentent en permanence: les primes d’assurance-maladie ou les loyers par exemple. La Suisse s’est positionnée comme un pays à très haute valeur ajoutée. Résultat: le coût de la vie y est élevé, si bien que le niveau des rentes doit l’être lui aussi. Dans le cas contraire, nous risquerions de nous transformer en une société à deux classes: celle qui a pu accumuler des capitaux et celle qui n’y est pas parvenue. C’est justement cette dernière qui a besoin de sécurité dans la vieillesse. Il s’agit d’un acquis auquel nous ne devons pas renoncer. 

Vous êtes le président du conseil de fondation de la caisse de pension de la Ville de Zurich (PKZH): comment votre caisse va-t-elle?
La caisse de pension de la Ville de Zurich se porte bien. Je souhaite souligner le fait que nous constituons en permanence des provisions pour financer les réductions du taux de conversion. Avec une performance de près de 10% à ce jour, 2019 est une très bonne année en termes de placements. Nous présentons actuellement un taux de couverture très élevé d’environ 118%. Toutefois, le taux d’intérêt technique utilisé pour calculer les capitaux des rentes passera en fin d’année de 2,5% à 2%. Fin 2019, le taux de couverture perdra donc environ trois points de pourcentage pour atteindre 115%. La PKZH compte actuellement quelque 34 000 assurés actifs et 19 000 ayants droit CP. 

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En tant que Vert, la stratégie de placement de votre caisse doit vous tenir tout particulièrement à cœur, non?
À la PKZH, la question des placements durables est un thème récurrent. Nous ne sommes pas les premiers et heureusement pas les seuls à suivre cette voie, mais nous le faisons depuis longtemps déjà. Et avec la stratégie climatique adoptée en 2018, la PKZH joue un rôle de chef de file dans ce domaine. Le parlement communal aussi nourrit des attentes considérables et veut en permanence savoir comment nous investissons nos fonds. Je suis content que nos décisions nous aient permis d’atteindre le sommet du dernier classement WWF. Ce résultat nous prouve une nouvelle fois que la PKZH n’attend pas de devoir agir mais que nous anticipons les défis à venir. Le nouveau CEO de l’Association suisse des banquiers Jörg Gasser aussi a montré que seuls les modèles commerciaux durables sans CO2 ont un avenir à plus long terme. Ce constat doit montrer la voie à suivre à l’ensemble des caisses de pension.

L’Union patronale et les syndicats ont déposé une proposition d’assainissement du deuxième pilier qui prévoit entre autres un supplément de rente financé par les cotisations salariales. Sommes-nous sur la bonne voie?
Nous en parlerons en détail lorsque nous examinerons de près les propositions des partenaires sociaux au premier trimestre. Dans la mesure où la PKZH est une caisse enveloppante, la direction de la PKZH considère toutefois l’indemnité de 200 francs comme problématique. Cette indemnité doit permettre de compenser la réduction du taux de conversion de 6,8% à 6,0%. La PKZH a déjà baissé son taux de conversion à partir de 2020 de 5,69% à 5,14%, avec des mesures de compensation quasiment complètes. Pour la PKZH, un tel supplément de rente pourrait mener à une surassurance, qui représenterait en outre une charge financière inutile pour les partenaires spéciaux. La ville en tant qu’employeur devrait réunir six millions de francs chaque année, les assurés de la ville quatre millions de francs. Du point de vue de la PKZH, je ne qualifierais pas forcément un tel supplément de rente de social dans la mesure où les jeunes assurés doivent payer des cotisations supplémentaires dans les rentes des assurés plus âgés.

Bien que personne ne conteste l’urgence de la réforme, les caisses de pension sont régulièrement aux abonnés absents lors des débats politiques. Pourquoi les caisses ne participent-elles pas plus au dialogue public?
Cela tient à la parité. Les conseils de fondation approuvent les positions des caisses de pension. Les employeurs et les employés sont représentés à hauteur de 50% chacun. Étant donné qu’en cas de problèmes, chacun défend sa position politique, il me semble incongru de mettre toutes les positions des caisses de pension dans le même panier. Nous sommes souvent d’accord sur les objectifs à atteindre tout en ayant une opinion complètement différente de la manière d’y parvenir. Au sein d’une institution comme la PKZH, la politique joue un rôle important, plus que dans la caisse de pension d’une entreprise. La diversité de leurs besoins et de leurs intérêts ne permet pas aux différentes caisses de pension de s’exprimer d’une seule voix. 

Faut-il impliquer les bénéficiaires de rente dans l’assainissement du deuxième pilier ou est-il tabou de toucher aux droits à la rente acquis?
Dans la Ville de Zurich, il serait sûrement tabou d’introduire une phase d’assainissement des rentes existantes. Mais si un assainissement permanent s’imposait sur plusieurs années et que les actifs se retrouvaient fortement sous pression, le sujet devrait être abordé. Mais nous ne traversons pas actuellement une telle situation de crise. 

L’État ne devrait-il pas encourager le troisième pilier pour soulager les deux premiers?
Seule une petite partie de la population utilise le troisième pilier. Les personnes qui manquent d’argent ne peuvent guère épargner. En revanche, les moyens d’investir ou d’épargner ne manquent pas à ceux qui ont de l’argent. Selon moi, le fait d’encourager une nouvelle fois le troisième pilier ne contribuerait pas à résoudre le problème social.

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NOTES SUR LA PERSONNE
Daniel Leupi
Membre du conseil de Ville de Zurich, directeur des finances et président du conseil de fondation de la caisse de pension de la Ville de Zurich

Daniel Leupi (Vert) est né en 1965. Il a été élu au conseil de Ville de Zurich en 2010 et assume la direction du Département des finances depuis 2013. Il a été à la tête du Département de la sécurité de 2010 à 2013. Daniel Leupi préside la caisse de pension de la Ville de Zurich en sa qualité de directeur des finances. Il assure la vice-présidence de la Conférence des directrices et directeurs des finances des villes, qui est la porte-parole des villes en matière de politique budgétaire et fiscale auprès de la Confédération et des cantons. Il a siégé au conseil municipal de Zurich de 2002 à 2010 et assumé la présidence du groupe des Verts de 2006 à 2009. Il a suivi des études d’économie politique à Berne, a été le copropriétaire du Velobüro d’Olten et a assuré la direction des journées découvertes sans voitures slowUp. Il est marié et vit à Zurich.

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