A picture of Juerg Stahl giving an interview.
echo-Interview, mars 2019

Les caisses de pension ne doivent pas s’abriter derrière le bouclier de la politique

ELIPSLIFE ECHO - DES ENTRETIENS AVEC DES PERSONNALITÉS DE L'INDUSTRIE

echo-interview avec Juerg Stahl

echo-interview avec Juerg Stahl, conseiller national UDC, canton de Zurich

elipsLife echo: Monsieur Stahl, la prévoyance vieillesse n’a pas été réformée depuis 20 ans. Votre parti rejette aussi le nouveau projet de réforme, à savoir l’accord sur les impôts et l’AVS. La politique en matière de prévoyance vieillesse est-elle vouée à l’échec?
Jürg Stahl: Si nous ne trouvons pas de solution, on peut dire en effet qu’il s’agit d’un échec social, car la politique n’est rien d’autre que le reflet de la société. Nous portons tous une responsabilité à cet égard, y compris la sphère économique. L’enjeu est grand. La prévoyance vieillesse est une question complexe et sensible car elle touche la société dans son ensemble. Or, trouver des solutions dans ce domaine s’avère tout aussi complexe. Si une solution susceptible d’être acceptée par une majorité était à portée de main, nous l’aurions déjà trouvée depuis longtemps. 

Lors de l’échec de la réforme Prévoyance vieillesse 2020, l’UDC s’est trouvée dans le camp des vainqueurs. Êtes-vous confiant dans le succès de votre parti en ce qui concerne l’accord sur les impôts et l’AVS?
Cet accord n’est pas l’œuvre d’un seul parti et il ne s’agit pas ici de faire ou non partie des gagnants. J’étais président du Conseil national lorsque le projet a été porté au Parlement. Lors du vote final, le projet de réforme Prévoyance vieillesse 2020 a réussi à obtenir tout juste le minimum de 101 voix. Il avait certes atteint la majorité requise, mais ce résultat serré était de mauvais augure pour l’issue de la votation populaire. D’ailleurs, je n’ai eu aucun sentiment de victoire suite à cette votation, tant la pression pour qu’une réforme ait lieu était et restait forte. Les membres de l’UDC ne sont pas tous contre le nouveau projet. Mais la majorité estime qu’il n’est pas bon de lier le dossier AVS à celui des impôts. 

En quoi la réforme actuelle n’est-elle pas complète?
Personnellement, je regrette qu’on ne s’attaque pas à la réforme du deuxième pilier. On ne tient par ailleurs pas suffisamment compte de la responsabilité individuelle des citoyens. Cela dit, je déconseille vivement de faire intervenir les notions de gagnant et de perdant dans le débat autour de la prévoyance. L’enjeu est bien plus important qu’une simple révision de la loi: il s’agit de l’avenir des prochaines générations qui vivront dans notre pays. 

Selon l’UDC, qu’est-ce qui prime dans la réforme de l’AVS?
Pour l’UDC, la réforme de l’AVS doit prévoir des changements structurels, cela est indéniable. Une restructuration purement financière ne suffit pas. Même si elle a été rejetée, la réforme Prévoyance vieillesse 2020 prévoyait de nombreuses mesures positives. L’harmonisation de l’âge de la retraite à 65 ans pour les hommes et les femmes, par exemple, aurait constitué un changement structurel. Lorsque le voyage s’annonce plus long, soit on emporte davantage de provisions, soit on mange moins. C’est logique. L’espérance de vie s’est fortement allongée. Les statistiques le prouvent, et il faut s’en réjouir. L’AVS est entrée en vigueur en 1959. Les procès-verbaux de l’époque n’expliquent d’ailleurs pas pourquoi l’âge de la retraite avait été fixé à 65 ans. Le fait est que l’espérance de vie est aujourd’hui plus longue de 16 ans par rapport à 1959. Donc les personnes qui prennent leur retraite aujourd’hui entament un voyage qui s’annonce beaucoup plus long qu’à l’époque. 

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Envisagez-vous une baisse du niveau des rentes?
Si l’on considère uniquement le montant mensuel versé, on peut en effet s’attendre à une baisse. En revanche, si l’on tient compte de la durée totale du versement, je ne pense pas que le niveau des rentes sera réduit. Les milieux politiques n’ont pas réussi à mener un débat objectif sur la durée de perception des rentes, eu égard à l’augmentation de l’espérance de vie et à la nette amélioration de l’état de santé des populations vieillissantes. De plus, avec un âge de la retraite fixé à 65 ans, nous ne devons pas non plus oublier l’énorme potentiel que le marché perd par la même occasion. La politique et la société n’ont pas donné assez de crédit à ce que nous pouvons retirer de cette expérience et de ces connaissances. 

Selon vous, quelles sont les mesures prioritaires pour réaliser les recettes supplémentaires dont l’AVS a besoin?
Une hausse de la taxe sur la valeur ajoutée serait certainement la solution la plus simple. L’UDC a toujours insisté sur le fait qu’une hausse de cette taxe serait acceptable uniquement si elle allait de pair avec une compensation des déficits structurels.

L’UDC considère-t-elle une limite maximale pour la hausse de la TVA?
Notre compétitivité sur le plan international repose entre autres sur des avantages liés à la TVA, des avantages auxquels nous ne devrions pas renoncer. C’est pourquoi je ne veux pas m’engager aujourd’hui à propos d’une limite maximale pour une éventuelle hausse de la TVA. 

Et que dites-vous d’une majoration des cotisations salariales?
Ce que je viens de dire vaut également pour une majoration des cotisations salariales. Dans un pays comme le nôtre où les salaires sont élevés, le fait de devoir s’acquitter de cotisations basses est un avantage auquel on ne renonce pas facilement. Le fait de bénéficier de salaires élevés est un privilège qu’il vaudrait mieux éviter de mettre en jeu. Nous devons nous poser la question suivante: dans quelle mesure voulons-nous que la population active passe encore davantage à la caisse? 

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Quelle est votre opinion sur l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans?
Personnellement, je ne comprends pas pourquoi nous n’avons toujours pas harmonisé l’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes et les hommes. Aujourd’hui, nous devons faire preuve de flexibilité et d’innovation et nous montrer capables de travailler jusqu’à 70 ans, c’est indéniable. Je suis le président de l’Association suisse des droguistes, un environnement de travail à prédominance féminine. Et pour mes collègues féminines, la question de l’augmentation de l’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes n’est pas aussi cruciale et épineuse que les milieux politiques veulent nous faire croire. 

Les caisses de pension sont toujours plus nombreuses à baisser les taux de conversion dans le domaine surobligatoire et à réduire les prestations. Cette évolution ne mine-t-elle pas les promesses de prestations et, ainsi, ne vide-t-elle pas le deuxième pilier de son sens?
Non, mais les caisses de pension ne doivent pas attendre que le monde politique agisse. Les bilans annuels des caisses de pension sont très différents d’une caisse à l’autre. Certains modèles permettent la mise en œuvre de solutions personnalisées et adéquates, et ce d’ailleurs dans le cadre des directives actuellement en vigueur. Dans les affaires de prévoyance, c’est l’assuré et non la recherche inconditionnelle du profit qui doit être prioritaire. Je crois en notre système, un système dont nous pouvons être fiers. Nous tergiversons sur la tournure que nous voulons donner à notre système de prévoyance, mais en fait, nous devons plutôt tous avoir en tête: «Qui l’a inventé?». 

Faut-il impliquer les bénéficiaires de rente dans l’assainissement du deuxième pilier ou est-il tabou de toucher aux droits à la rente acquis?
Je n’aime pas les promesses censées rester valables pendant des décennies. La vie en société implique forcément des changements. Même si, à l’époque, des choses ont été promises en toute connaissance de cause et de bonne foi, il est irréaliste de s’y attacher si, entre temps les circonstances ont complètement changé. Il est erroné de promettre aujourd’hui des choses à un jeune de 20 ans au sujet de sa rente. Comment pouvons-nous savoir maintenant quels seront les paramètres dans 45 ans? 

L’État ne devrait-il pas encourager le troisième pilier pour soulager les deux premiers? 
Encourager le troisième pilier, oui, mais seulement si l’on arrive à sensibiliser davantage les citoyens au fait que le voyage qui les attend sera plus long. Aujourd’hui, personne ne vous empêche d’optimiser votre prévoyance grâce au troisième pilier. Mais une bonne partie de la population ne semble pas encore prête pour le troisième pilier. Pour un jeune de 20 ans, sa future rente n’est pas une priorité. C’est pourquoi nous devons plutôt renforcer les caisses de pension. Nous devons les encourager à innover davantage et à faire moins de gestion. Après le débat sur la réforme Prévoyance vieillesse 2020, les assureurs auraient pu se montrer innovants au lieu de se lamenter sur Berne ou même d’abandonner les affaires de prévoyance. Il ne suffit pas de rejeter la faute sur la politique.

Que doivent faire les caisses de pension pour éviter que le deuxième pilier ne s’écroule?
C’est dans l’intérêt des caisses de pension de se faire entendre et d’accompagner les processus politiques. Elles doivent toutefois le faire non pas dans l’intérêt de leur propre entreprise, mais dans celui de la société. En outre, elles doivent profiter de la marge de manœuvre dont elles disposent. Elles ne doivent pas s’abriter derrière le bouclier de la politique et se plaindre du fait que des réformes ne sont pas mises en œuvre. Au lieu de justifier son inactivité par une absence de conditions-cadres, le secteur des assurances devrait exploiter pleinement les possibilités dont il dispose. 

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NOTES SUR LA PERSONNE
Juerg Stahl
Conseiller national UDC, canton de Zurich

Né en 1968 à Brütten (canton de Zurich), Jürg Stahl est une personnalité politique. Il est membre de l’UDC et siège au Conseil national depuis 1999. Il a été président du Conseil national pour les sessions 2016-2017. À la Chambre basse, il est membre de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique depuis 1999. Après un apprentissage pour devenir droguiste, il a suivi une formation à l’École supérieure spécialisée de droguerie à Neuchâtel et a obtenu en 1992 son examen de maîtrise. Il a ensuite suivi à l’Université de Saint-Gall (HSG) un cursus d’études postgrades «HSG KMU». Il a été propriétaire d’une droguerie à Winterthour de 1996 à 2004 et membre de la direction du Groupe Mutuel de 2004 à 2017. Il est membre du Conseil exécutif de Swiss Olympic depuis 2008 et président de ce comité depuis 2017. Depuis juin 2018, il est en outre le président central de l’Association suisse des droguistes. Jürg Stahl est marié et père d’une fille.

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