Hanspeter Konrad
Entretien echo, mai 2019

La suppression des taux limites de placement n’améliorera pas le potentiel de rendement

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Entretien avec Hanspeter Konrad

Entretien avec Hanspeter Konrad, directeur de l’Association suisse des institutions de prévoyance (ASIP)

elipsLife echo: Monsieur Konrad, l’Association suisse des institutions de prévoyance (ASIP) représente les intérêts de plus de 900 caisses de pension différentes. Leurs intérêts sont-ils seulement conciliables?
Hanspeter Konrad: De nombreux aspects dans le domaine du deuxième pilier sont centraux pour tous, de la grosse fondation collective à la petite caisse de pension d’entreprise. Je pense notamment à la capitalisation, à la gestion paritaire par les partenaires sociaux ou plus généralement à l’attachement à un deuxième pilier collectif et solide.

L’Association des institutions de prévoyance a récemment demandé l’interdiction des commissions des intermédiaires dans le deuxième pilier. Pourquoi?
Les commissions font l’objet de discussions depuis des années. Nous n’avons rien contre les courtiers, mais plutôt contre leur mode d’indemnisation: est-ce que ce sont les fondations collectives et communes qui souhaitent croître et recherchent de nouvelles affiliations parmi les employeurs qui doivent payer les courtiers? Ou bien le mandant, donc l’employeur? Nous estimons qu’il serait plus pertinent que ce soit le mandant qui cherche une solution de prévoyance qui finance le courtier, et pas la caisse de pension. Il y aurait bien moins de risques de conflit d’intérêts.

Nombreux sont les acteurs du secteur de l’assurance à trouver qu’un tel changement de système avec l’interdiction des courtages irait trop loin. L’ASIP fait-elle ici cavalier seul?
Nous avons discuté de ce sujet de façon approfondie au sein de l’ASIP. Nous avons aussi été contactés par des caisses qui n’octroient pas directement de licence aux courtiers, et donc ne les rémunèrent pas directement, et n’obtiennent pas de mandats pour cette raison. Nous abordons maintenant la question avec les courtiers, avec l’Association Suisse d’Assurances et avec les partenaires sociaux. N’oublions pas que la réforme structurelle de 2011, qui a renforcé les dispositions relatives à la gouvernance et à la transparence dans la LPP, exige la transparence en matière d’indemnisation des courtiers vis-à-vis de l’employeur. Dans ce contexte, les indemnisations en fonction des volumes sont interdites. Or, nous constatons que cette transparence est appliquée de façon trop timide. C’est pourquoi il faut remettre en question et adapter le mode d’indemnisation.

Avec l’adoption du projet de réforme fiscale et de financement de l’AVS (RFFA), l’AVS va maintenant obtenir une aide financière de deux milliards, mais les problèmes structurels demeurent. Quelles sont selon vous les priorités pour la poursuite des réformes de l’AVS?
La question de la modification de l’âge de référence doit être abordée. Le Conseil fédéral le fera probablement à la fin de l’été avec le projet AVS 21. Ensuite, il faut mettre en place des systèmes incitatifs pour garder plus longtemps les employés dans la vie active, par exemple à travers diverses solutions de flexibilisation. Enfin, il faut aussi remettre la question du financement sur le tapis. L’adoption du projet RFFA a certes permis d’injecter plus de moyens dans l’AVS, mais les dépenses excessives demeurent. Il faudra donc à nouveau se poser la question de savoir si et de combien il serait possible d’augmenter la taxe sur la valeur ajoutée. Je n’imagine pas de nouvelle majoration des cotisations salariales puisque l’adoption du projet RFFA entraînera déjà une hausse de 0,3%.

A picture of Hanspeter Konrad giving an interview.

Depuis quelque temps, les tentatives de réforme de l’AVS sont au premier plan. Y a-t-il selon vous aussi urgence à réformer les caisses de pension?
La réforme de la LPP est presque plus urgente encore que celle de l’AVS. Après l’échec lors de la votation sur le projet Prévoyance vieillesse 2020, notre association a décidé d’agir et demande des réformes. Nous avons mis sur la table des modèles sur la façon de mener la réforme de la LPP (voir www.asip.ch: projet de réforme de la LPP proposé par l’ASIP). Le cœur du sujet est le taux de conversion LPP actuellement trop élevé, à 6,8%. Les caisses de pension – en particulier les caisses enveloppantes bien implantées qui ont une marge de manœuvre – ont fait leur travail en baissant déjà massivement les taux de conversion dans le domaine surobligatoire. Il reste maintenant impérativement à rectifier aussi le taux de conversion sur le régime obligatoire de la LPP.

Quels sont les principaux défis en ce qui concerne le deuxième pilier?
En matière de prévoyance financée par capitalisation, citons premièrement le niveau durablement bas des taux d’intérêt, encore accentué par les taux négatifs. Deuxièmement, l’augmentation de l’espérance de vie. Comme nous vivons toujours plus vieux en moyenne, les caisses doivent verser les rentes plus longtemps. Avec pour conséquence la répartition contraire au système que l’on connaît des assurés les plus jeunes vers les bénéficiaires de rente. Cette répartition doit avant tout aussi être corrigée dans les caisses proches de la LPP. Enfin, il y a des défis d’ordre social et politique: par exemple, jusqu’où doit aller l’individualisation dans un système de prévoyance globalement fondé sur le collectif?

À votre avis, les bénéficiaires de rente doivent-ils contribuer à l’assainissement du système de prévoyance ou est-il tabou de toucher aux droits à la rente acquis?
Nous sommes opposés à la réduction des rentes en cours. Le problème fondamental est la fixation de paramètres de détermination de la rente erronés depuis des décennies. Réduire les rentes en cours au lieu d’adapter les paramètres remettrait en question les fondements du système. De plus, cela reviendrait à nier les droits acquis par les assurés. Des modèles de participation seraient la meilleure solution: les conseils de fondation pourraient définir de manière réglementaire le transfert d’éventuels produits aux seuls retraités ayant pris leur retraite avec un taux de conversion plus bas.

Quelle est votre opinion sur l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans?
Nous devons en venir au même âge de départ à la retraite pour les hommes et les femmes. C’est ce que prévoyait le projet Prévoyance vieillesse 2020 soutenu par l’ASIP. Nous approuvons aussi cette harmonisation dans le projet de réforme AVS 21 que le Conseil fédéral devrait approuver à la fin de l’été à l’intention du Parlement.

Et qu’en sera-t-il à votre avis de l’âge de la retraite dans dix ans?
Une fois l’âge de la retraite passé à 65 ans pour les hommes et les femmes, le processus se poursuivra. La question est de savoir combien de temps il faudra pour passer de 65 à 67 ans par exemple. Il existe plusieurs modèles en la matière, par exemple l’alignement sur l’espérance de vie ou sur la durée de la vie active.

A picture of Hanspeter Konrad giving an interview.

Les caisses de pension sont fortement limitées par le législateur dans leurs stratégies de placement. Ont-elles besoin de plus de liberté au vu du contexte économique difficile?
L’Association des institutions de prévoyance ne pense pas que la suppression des taux limites de placement améliorerait le potentiel de rendement. De très nombreux conseils de fondation sont de notre avis. Ce n’est pas la faute du système actuel si une caisse obtient de mauvais résultats de placement. Les résultats de placement des dernières années l’attestent. Il y a beaucoup plus important que la discussion sur les taux: des processus correctement mis en place dans la gestion de fortune avec des compétences et des obligations bien définies.

À votre avis, à combien devrait s’élever aujourd’hui le taux de conversion pour la part obligatoire?
Le taux de conversion devrait certainement être inférieur à 6%, et même s’approcher des 5% du point de vue actuariel. Nous proposerons 5,8% dans le débat politique. C’est certes trop, car cela implique un taux technique de 3,4%, mais nous ne devons pas perdre de vue l’acceptation politique et ne pouvons pas argumenter uniquement du point de vue actuariel.

Le nombre de caisses de pension propres aux entreprises ne cesse de diminuer, la tendance étant aux fondations collectives. Cette évolution va-t-elle se poursuivre?
Oui, il est malheureusement très probable que cette tendance se poursuive. Le système est devenu très complexe au cours des dernières années, et cette complexité continue d’augmenter. Les organes de direction sont confrontés à des défis toujours plus grands. C’est pourquoi de nombreux employeurs préfèrent s’affilier à une structure d’une certaine taille plutôt que d’essayer de conserver leur propre solution de caisse de pension, ce que nous déplorons.

Le modèle de prévoyance suisse est vu à l’étranger comme une référence. À quel niveau la Suisse pourrait-elle s’inspirer de l’étranger en ce qui concerne la LPP?
Quand je vois comment l’association européenne des institutions de prévoyance débat de la libre circulation des personnes ou la façon dont la question de la prévoyance vieillesse professionnelle est abordée en Allemagne, je ne vois pas bien ce dont nous pourrions nous inspirer à l’étranger. Ce qui ne signifie pas que nous sommes loin devant. Nous ne sommes plus forcément en tête des classements, notamment en raison des nombreuses tentatives de réforme qui ont échoué. La Suisse possède une très bonne solution, mais nous pouvons encore nous améliorer, par exemple en matière de processus ou dans l’adaptation des paramètres de prestation. Les pays nordiques disposent ainsi de mécanismes efficaces pour adapter l’âge de la retraite en fonction de l’espérance de vie.

L’État ne devrait-il pas encourager un renforcement du troisième pilier pour soulager les deux premiers?
Il ne faut pas entretenir la concurrence entre les différents piliers. Chacun d’entre eux a ses points forts et ses points faibles. L’ASIP est favorable à un deuxième pilier fort. Si on trouve des solutions pour améliorer les prestations dans le troisième pilier, nous ne nous y opposerons certainement pas.

A picture of Juerg Stahl giving an interview.
NOTES SUR LA PERSONNE
Hanspeter Konrad
Directeur de l’Association suisse des institutions de prévoyance (ASIP)

Hanspeter Konrad, né en 1958, lic. iur., avocat, est directeur de l’Association suisse des institutions de prévoyance (ASIP) depuis le 1er avril 2004. Il est par ailleurs membre de longue date de la Commission fédérale de l’AVS/AI et de la Commission LPP. Il a été responsable pendant 15 ans de la prévoyance et des assurances au sein du groupe Sulzer; il est actuellement conseiller et membre du conseil de fondation des systèmes de prévoyance de Sulzer. Hanspeter Konrad est également membre du comité directeur du Fonds de garantie LPP et représente l’ASIP auprès d’autres organisations (notamment Éditions EPAS) et de commissions spécialisées. Il est aussi maître de conférences dans diverses institutions (notamment à l’IFZ, l’institut des services financiers de Zoug).

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